Réseaux

EVASIONS PAR MER DANS LES COTES-DU-NORD...

 

Après la bataille d’Angleterre de 1940, la Royal Air Force britannique porte peu à peu la guerre en Allemagne et à toutes les bases allemandes importantes situées en pays conquis.

Les premiers mois de 1943 s’amplifièrent les raids sur Saint-Nazaire, Brest, Lorient ; ce qui se traduisit par l’arrivée sur le sol breton de «parachutistes malgré eux» dont l’avion avait été abattu. Ainsi, de septembre 1943 à août 1944, la RAF aura perdu 21.000 aviateurs dont 15.500 tués et 3.500 prisonniers.

Ces aviateurs se retrouvant dans un pays inconnu seront de nationalités diverses : beaucoup d’Américains formant les équipages des forteresses, des Britanniques et des combattants du Commonwealth (Australiens, Canadiens, Néo-Zélandais, Africains du Sud, Rhodésiens…), tous âgés de 18 à 25 ans.

De nombreux réseaux vont chercher à les récupérer pour les ramener en Grande Bretagne afin qu’ils puissent reprendre le combat. Spécialistes, leur instruction a duré plusieurs mois et couté très cher. Voilà pourquoi les pilotes étaient prioritaires pour le retour !

              

LE RESEAU VAR                 

Un premier réseau d’évasion est organisé dans le secteur Est des Côtes-du-Nord à Saint-Cast, où la baie de la Fresnaye offre un abri qui semble sûr sous le Fort Lalatte occupé par les Allemands. Il s’agit du réseau «Var» créé par Aristide Sicot, jeune enseignant démobilisé en 1940 en tant qu’élève officier et dont les parents possèdent une villa – «Les Feux Follets» - qui abritera jusqu’à trente aviateurs sous le plancher de la salle à manger. La maison était de plain-pied et toute la terre avait été éparpillée dans les champs avoisinants. Contacté par le SOE (B.J. Harrat alias «Peter» et Paul Deman), Aristide Sicot s’était immédiatement porté volontaire pour cette mission. 

Malheureusement, à Noël 1943, la vedette, à cause d’une très mauvaise visibilité, s’étant rapprochée trop près de la côte, est canonnée et mitraillée par les Allemands. Un marin britannique est tué et le jeune sous-lieutenant se retrouve avec 31 aviateurs sur les bras…Il réussi à les dispatcher, mais le réseau est grillé et il lui est demandé de chercher un autre lieu propice aux mêmes opérations. Il réussit grâce à l’aide de jeunes résistantes (il épousera l’une d’elles), les cinq sœurs Jacob demeurant au bourg de Guimaëc au nord de Morlaix dans le Finistère, à recréer une filière par où passeront ensuite François Mitterrand (qui inaugurera le monument du réseau lors de son premier mandat de président de la République), le Général Allard ainsi que bien d’autres agents ou aviateurs.

                 

LE RESEAU SHELBURNE    

Parallèlement, et sans concertation avec le réseau Var, obéissant aux ordres de Londres, deux canadiens, Lucien Dumais, le radio Raymond Labrosse, et un Britannique, Val Williams, vont reconstituer une autre chaîne d’évasion à quelques kilomètres de Saint-Quay-Portrieux (toujours dans les Côtes-du-Nord) où le réseau «Oak Tree», qui récupérait lui aussi les aviateurs, vient de tomber et d’être décimé.

Grâce à de nombreux mais difficiles contacts, les trois hommes réussirent à recruter des personnes acceptant de travailler pour la bonne cause dans la région de Plouha. Le réseau «Shelburne» était créé. Shelburne, du nom d’un homme politique britannique du XVIIIe siècle marquis de Lansdowne et deuxième comte de Shelburne.

 
Lucien-Dumais
    Lucien Dumais
groupe-personnes
Au centre, Marie Gicquel ;
 sa maison familiale fut «la maison d’Alphonse».
Immédiatement à l’œuvre et avec l’aide des volontaires locaux, la première tâche fut de trouver un endroit sur la côte où pourraient s’approcher le plus possible les MGB (Motor Gun Boat) ou les MTB (Motor Torpédo Boat), tout en étant à l’abri du regard des Allemands. C’est ainsi qu’avec l’aide du charcutier François Le Cornec - déjà impliqué dans la résistance locale - et d’un officier de la marine marchande, Joseph Mainguy (qui fit aussitôt les plans de la plage), fut choisie l’anse Cochat. Lieu relativement exigu au pied d’une falaise de 50 mètres et où, la mer se retirant, s’étalaient quelques dizaines de mètres de sable, avec, pour y accéder, une descente à risque, un sentier où il fallait s’agripper à la végétation pour ne pas tomber et où il fallait se laisser glisser sur le dos pour atteindre la plage !  

L’endroit de l’évacuation trouvé, il fallait maintenant penser à l’hébergement, trouver les maisons, la nourriture et parfois les vêtements pour les jeunes futurs «rapatriés». Il fallait également les amener dans les Côtes-du-Nord (certains ayant été récupérés loin de la Bretagne), à Saint-Brieuc par le train et ensuite les acheminer à Plouha. Pris en charge à Saint Brieuc par de jeunes convoyeuses, ils arrivaient de nuit sur leur lieu de transit afin de ne pas susciter la curiosité de la population locale. Acheminements qui demandaient beaucoup de préparation, car faire voyager - très souvent dans des wagons bourrés d’Allemands - des personnes qui ne parlaient pas français nécessitait de grandes précautions, et l’on pourrait ajouter un certain «culot» et un sang-froid à toutes épreuves!

Ce sera Londres qui fixera le moment de chaque opération, laquelle ayant toujours – évidemment - lieu par une nuit sans lune sera déclenchée par un message envoyé par la BBC qui fut longtemps celui-ci : «Yvonne pense toujours à l’heureuse invitation», suivi, le jour de l’exécution par cet autre : «Bonjour à tout le monde à la maison d’Alphonse» ; le message d’annulation étant «Rigoulot a bon coco».

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L’un des bateaux britanniques venant exfiltrer les aviateurs alliés abattus…
corvette
C’est le 28 janvier 1944, à 20 h 45, que fut diffusé le message lançant la première opération : un blessé (Val William) et 16 aviateurs embarquèrent sur le MGB503 (commandé par le père de Jane Birkin) et regagnèrent l’Angleterre ; ceci après que les marins aient déchargé des armes, des munitions, des vêtements, du café, des cigarettes (gauloises fabriquées en Grande-Bretagne), du whisky, du chocolat et de l’argent.

L'OPERATION:

Calé sur la falaise, Joseph Mainguy envoyait en morse le signal ‘’B’’ comme Bonaparte (nom de la plage) à intervalle régulier en direction de la vedette. Celle-ci jetait l’ancre à quelques encablures du rivage prête à repartir à la moindre alerte. Deux ou trois chaloupes descendues à la main par l’équipage et dont les rames étaient garnies de toile afin d’éviter tout bruit, mettaient le cap sur la plage où Marie-Thérèse Le Calvez (18 ans) dirigeait vers elles un faisceau bleu avec sa lampe torche afin de les guider. En cas de danger était prévue une lumière rouge calée entre deux rochers. Le mot de passe en arrivant sur la plage était : «Dinan», avec pour réponse : «Saint-Brieuc ».

Au total, de janvier 1944 à d’août 1944, se déroulèrent 8 opérations qui permettront à 135 aviateurs et à 15 agents de rejoindre l’Angleterre, ceci au nez et à la barbe des Allemands. Ces hommes auront du leur salut à un réseau spécialisé dans l’évasion, très cloisonné, où les hébergeurs se connaissaient en tant que voisins mais ne savaient pas qu’ils faisaient le même travail de Résistants…

«L’épopée Shelburne est un exemple de coopération et de fraternité entre civils français et soldats canadiens, américains, du Commonwealth, marins britanniques qu’un ancien de la RCAF évadé de Bretagne par mer en avril 1943 peut apprécier l’exceptionnelle valeur. Jamais je ne saurai exprimer l’admiration que j’éprouve pour ces hommes et ces femmes qui firent délibérément le choix de risquer les pires souffrances et qui firent preuve d’un cran bien souvent insoupçonné par les militaires que nous étions !» (Gordon Carter Commandant de la Royal Canadien Air Force).

Composé de membres prenant tous des risques énormes, animés d’une volonté farouche de vaincre les nazis et qui faisaient preuve d’une imagination, de système D et d’une audace à toute épreuve, le réseau Shelburne fut un des seuls à ne pas avoir été trahi et détruit…

Pierre Martin
L’entrée de la « plage Bonaparte » sur l’Anse Calot à Plouha

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SUR LES COTES MEDITERRANEENNES AUSSI…

Bien que leur situation géographique ne s’y prêta guère – les rives algériennes étaient hors de portée, l’Italie fasciste était la voisine de l’Est, l’Espagne franquiste celle de l’Ouest – les côtes méditerranéennes furent le point de départ de quelques évasions par mer, le Réseau d’évasion Pat O’Leary - basé à Marseille - disposant même d'un bateau reliant la côte française à Gibraltar.

…ET DANS LE FINISTERE

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Ernest Sibiril

Dès l’arrivée des Allemands en Bretagne en  juin 1940, Jacques Guéguen, un pêcheur breton, va, avec un navire sablier de 8,40 m   le  « Pourquoi pas  ?» effectuer - depuis le Pont de la Corde à Henvic - trois allers et retours à Jersey, puis un autre vers l'Angleterre à Fowey, en Cornouailles, pour y évacuer des militaires britanniques et des Français répondant à l’Appel du 18 juin…

Menacé d’arrestation, Jacques Guéguen, alors âgé de 65 ans, va devoir se résoudre à gagner l’Angleterre avec son fils François, âgé de 16 ans, faisant appel à l’aide de l’un de ses amis,   Ernest Sibiril constructeur de bateau à Carantec, une petite ville de la baie de Morlaix. C’est à bord d’un cotre de 7m 50, «  l’André » que Jacques Guéguen et son fils, accompagnés d’un officier de renseignements belge et d’une infirmière-major, partis de Carantec dans la nuit du 10 février 1942 rallièrent le port de Fowey, après 31 heures de traversée…

Ernest Sibiril va, avec plusieurs membres de sa famille, monter un véritable réseau d’évasion d’une vingtaine de personnes dont une des premières tâches - les Allemands ayant recensé tous les bateaux pouvant prendre la mer - va être de restaurer des épaves afin de les rendre aptes à naviguer et effectuer la périlleuse traversée.

Du 20 juillet 1942 (cotre «  la Monique  ») au 14 février 1944 ( goémonier «l’Amity », ce seront 13 bateaux restaurés (cotres, goémoniers, sablier) qui rallieront les ports du sud de l’Angleterre (Fowey, Plymouth, Salcombe, Penzance). Un 14ème, « le Requin », aura été construit clandestinement de toutes pièces en 11 jours et motorisé avec un moteur de voiture de 10 cv : c’est lui qui emmènera le 31 octobre 1943 vers l’Angleterre Ernest Sibiril – ayant échappé le 18 juillet 1943 à la Gestapo et entré en clandestinité - et son frère Léon, ainsi que 6 autres évadés.

Au total, près de 200 aviateurs et agents de renseignements alliés, Résistants, et  Français libres en mission auront été exfiltrés vers l’Angleterre par le Réseau Sibiril.

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